Jean Bernier
Publié pour la première fois en 1924 et jamais réédité depuis, Tête de mêlée raconte le parcours d’un jeune garçon qui parvient, grâce au sport, à s’arracher aux affres de l’enfance et de l’adolescence, à échapper à sa Folcoche de gouvernante et au milieu bourgeois d’avant 1914, étriqué, bigot, imbu de sa classe sociale et décrit ici d’une façon particulièrement fine et cruelle.
Il s’agit d’un véritable hymne au sport en général et au rugby en particulier. Le lyrisme, la précision et l’humour avec lesquels ce jeu, qui, au début du XXe siècle essaie de percer en France, est décrit, font de Jean Bernier, pour le ballon ovale, ce que sera Antoine Blondin pour le cyclisme, quelques décennies plus tard.
Mais chez Bernier la grande guerre n’est jamais très loin. Les espérances de « ces jeunes hommes au corps habile et fort, à l’âme prompte » avant 1918 sombreront dans la guerre quelques semaines plus tard sous les « tonnerres monotones de la chimie industrielle », termine-t-il.
« De quelque angle qu’on considère les temps modernes, la guerre de 1914 y apparaîtra toujours plus comme le tournant décisif. » écrivait Jean Bernier, mobilisé et envoyé au front en septembre 1914 à l’âge de vingt ans, puis blessé en décembre 1915. De cette « expérience » naîtront en 1920 un roman (La Percée1) et de solide convictions pacifistes et internationalistes. Dès la sortie de la guerre ses convictions politiques le conduisent à adhérer à l’ARAC (association républicaine des anciens combattants, fondée dès novembre 1917) et à participer à partir de 1921 à la revue communisante Clarté aux côtés des Barbusse, Vaillant-Couturier, Raymond Lefebvre, Boris Souvarine et même Victor Serge et Magdeleine Paz. Tout autant que militant, Bernier est un écrivain qui fréquente des milieux littéraires et artistique et en particulier les surréalistes — ami d’Aragon2, amant de Colette Peignot3, par leur intermédiaire, il œuvre, à partir de 1925 à un rapprochement entre le groupe Clarté et ces surréalistes dont il apprécie le pamphlet Un cadavre consacré à la mort d’Anatole France. Pour la petite histoire, André Breton appréciera peu le goût de Bernier pour le sport !
Journaliste, outre sa participation à Clarté, il collabore au Crapouillot de Jean Galtier-Boissière, et, à partir de 1924, à L’Humanité où il tient une rubrique « vie sociale » avant de s’y consacrer à la rubrique « Sport », en 1926. Il s’éloigne ensuite progressivement du PCF et collabore avec des oppositionnels comme Boris Souvarine à la Critique sociale à partir de 1931. Il se rapproche alors des anarchistes du Libertaire de l’Union anarchiste communiste. Devenu correcteur, il fonde avec Chazé, Guilloré et Lazarévitch (le mari d’Ida Mett) un cercle lutte de classe dans la CGT, et se fait propagandiste de l’Espagne noir et rouge.Il sent bien qu’une nouvelle guerre se dessine et en 1936 il signe, avec Georges Bataille et Lucie Colliard un tract « travailleurs vous êtes trahis » au nom d’un « Comité contre l’union sacrée ». En 1937, il écrit pour le Crapouillot l’« Actualité de l’anarchisme »4 récemment republiée.
De nouveau mobilisé en 1939, fait prisonnier en juin 40, libéré fin 42, il arrête tout militantisme après avoir tenté de s’occuper d’une organisation officielle de prisonniers de guerre en zone occupée (il la quitte au bout de deux mois). Il reprend après la guerre ses activités de journaliste en se limitant à l’étude de la politique internationale et à rentre compte de la réalité russe avec Nicolas Lazarévitch. Il meurt en 1975.
1. La Percée, Albin Michel, 1920, rééd. Agone, 2000.
2. Aragon a 30 ans lorsqu’il adhère au PCF en 1927, à une période où tout le monde le quitte !
3. Personnage important des milieux intellectuels radicaux de l’entre-deux-guerre, cet écrivain deviendra la compagne de Georges Bataille.
4. En 2014 avec les « réflexions sur l’anarchisme » de Victor Serge, aux éditions Acratie.